«Nous ne pouvons plus tolérer cette situation inacceptable!»

La majorité des artistes suisses du spectacle ne peuvent pas vivre de leur métier malgré une longue formation et des horaires de travail intenses. Salva Leutenegger, directrice de ScèneSuisse, est en colère et cherche malgré tout des solutions à l’amiable.

Interview de Reda El Arbi pour ENSEMBLE / Traduit de la version originale allemande

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Madame Leutenegger, aux États-Unis, les acteurs·trices sont en grève. Selon un récent sondage de ScèneSuisse, la situation financière des artistes du spectacle en Suisse n’est pas brillante non plus. Qu’a révélé ce sondage ?

Notre enquête sur les salaires, que nous avons envoyée à tous nos membres, employés permanents et intermittents, confirme nos constatations. En Suisse aussi, les artistes du spectacle auraient des raisons de faire grève, même si, contrairement aux États-Unis, l’encouragement de la culture est une tâche de l’État et des cantons. Près de la moitié des professionnels intermittents* évoluent dans une fourchette de salaire comprise entre 18’000 et 25’000 CHF par an.

C’est une situation des plus honteuses pour un pays riche. Parmi les employé·e·s fixes des maisons subventionnées, la moitié gagne entre 51’000 et 70’000 CHF. Les intermittent·e·s déclarent en outre à 86% avoir besoin d’avoir un travail alimentaire pour survivre. Des personnes hautement qualifiées (la grande majorité ayant un master) doivent travailler dans la restauration, la vente, etc. pour pouvoir payer leurs factures. C’est du temps qui manque dans leur activité créative.

*Les artistes du spectacle intermittents travaillent sous statut de salarié, ils sont engagés pour une durée déterminée pour des productions artistiques.

Peut-on en identifier les causes ?
Nous avons été surpris par les données relatives à la part de travail non rémunéré dans les arts du spectacle. La moitié des comédiens·ennes, danseurs·euses et chanteurs·euses indépendant·e·s indiquent avoir entre 30 et 50% de temps de préparation et de finition non rémunéré. Il n’est pas nécessaire d’être un acrobate des chiffres pour se rendre compte que les artistes travaillent sans compter et gagnent très peu.

ScèneSuisse a négocié une convention collective de travail avec son partenaire social, l’UTS (Union des théâtres suisses). Quelles en sont les bases et où y a-t-il une marge de manœuvre ou un potentiel d’amélioration ?
Dans les maisons dotées d’une convention collective de travail (CCT), les artistes* bénéficient d’une sécurité sociale, de longs délais de préavis et d’un revenu régulier. Les intermittents auxquels il est fait appel pour des productions travaillent également pour une durée limitée sous la protection de la CCT.

Les partenaires sociaux UTS (Union des Théâtres Suisses) et ScèneSuisse se rencontrent chaque année pour fixer de manière paritaire les salaires minimaux. Malheureusement, trop d’artistes restent trop longtemps bloqués sur le salaire minimum sans faire de carrière salariale significative. Nous estimons qu’il est urgent d’agir dans ce domaine, et même si nous en avons déjà discuté, nous souhaitons jouer un rôle prépondérant dans le cadre du partenariat social.

En quoi la branche suisse se distingue-t-elle de celle des États-Unis ou de l’Europe, par exemple ?
Bien sûr, il y a des pays européens où les artistes souffrent encore plus que chez nous. Alors qu’aux États-Unis, par exemple, l’encouragement de la culture est privatisé, la Suisse a pour ainsi dire fait de l’encouragement de la culture son cheval de bataille. La promotion du cinéma est presque exclusivement soutenue par la Confédération, les théâtres CCT ont des contrats de subvention avec les villes ou les cantons.

Des fondations soutiennent également des projets culturels, entre autres de la scène indépendante. Le pays quadrilingue a la responsabilité toute particulière de promouvoir et de protéger la diversité culturelle des régions linguistiques, raison pour laquelle la comparaison avec d’autres pays est toujours un peu difficile.

… dépendant de l’argent public et du public payant

Le Théâtre de Bâle a récemment été le cadre d’une action de protestation d’Unia. ScèneSuisse ne s’en est pas réjoui. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi les ensembles devraient s’abstenir de toute mesure de lutte ?

C’est justement parce que la culture est encouragée de manière institutionnalisée en Suisse qu’il est difficile de mener une lutte directe entre employés et employeurs. Les employeurs sont des institutions culturelles qui dépendent de l’argent public et du public payant. Les actions de protestation sur la scène du Théâtre de Bâle ont certes entraîné une hausse des salaires à court terme, mais les conséquences à moyen et long terme pourraient être moins positives. Une part du public était irritée et dépassée par les événements.

Ces actions ont également fait réagir les partis de droite, pas toujours favorables à la culture. Notre pays est gouverné par le centre droit et la droite conservatrice, les grèves et les protestations des travailleurs sont l’œuvre du diable pour ces milieux. Comme ScèneSuisse ne veut pas risquer des coupes dans les subventions, nous préférons le dialogue et les négociations entre partenaires sociaux aux grèves.

Selon l’enquête, l’écart entre les sexes existe aussi chez les acteurs. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les raisons de ce phénomène ?
Oui, il y a aussi un écart entre les sexes dans les arts du spectacle – surtout chez les intermittents. Il n’est certes pas aussi important que dans d’autres secteurs, mais dans la tranche d’âge moyenne de 30 à 49 ans, les hommes sont 5% plus nombreux que les femmes à gagner 70 000 CHF et plus. Dans la tranche d’âge 50-65 ans, la différence de revenus entre hommes et femmes se situe entre 5 et 10%.

En Suisse, le financement de la culture dépend beaucoup des subventions. Les fonds ne suffisent-ils pas ou sont-ils mal répartis, puisqu’il est clair qu’une grande partie des artistes ne peuvent pas vivre de leurs revenus ?
Bien sûr, les subventions pourraient en principe être plus élevées. Mais je ne pense pas que cela changerait quoi que ce soit à la définition des priorités. Les artistes seront toujours en bas de la chaîne alimentaire.

Nous ne pouvons plus accepter cette situation, le travail artistique doit absolument être revalorisé et priorisé dans le budget. Un décor très élaboré et coûteux est certes beau, mais en fin de compte, ce sont les êtres humains qui sont les piliers des arts de la scène.

Quelles sont les prochaines étapes de ScèneSuisse pour améliorer la situation dans la branche ?
Dans le domaine des subventions, nous voulons soutenir davantage les acteurs culturels, les théâtres, les organisateurs, etc. Une première étape consistera à convaincre notre partenaire social que Scène Suisse doit participer aux contrats de subventionnement.

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