Journées du Théâtre Suisse aux ambitions „transcantonales“

Du mercredi 31 mai au dimanche 4 juin ont eu lieu les Journées du Théâtre Suisse à Fribourg. Ensemble a pu rencontrer Julie Paucker. Engagée en tant que directrice artistique depuis 2022, elle a contribué, avec la direction de l’époque, à améliorer la conception de l’événement. Un entretien sur le rôle urgent du multilinguisme au théâtre et les collaborations au-delà des frontières cantonales.

Julie Paucker est dramaturge de formation, elle a travaillé en Suisse et en Allemagne, au Theater Basel, au Deutsches Nationaltheater Weimar et plusieurs autres. Avec sa compagnie transnationale Kula, elle produit des pièces multilingues, un domaine auquel elle se consacre désormais aussi en Suisse. Selon elle, „tant l’esthétique que les opérations, les déroulements et les processus théâtraux sont désormais pensés différemment au niveau international et comportent des défis spécifiques“. La femme de théâtre de 47 ans y était parfaitement préparée, elle considère la différence entre les cantons comme une chance d’apprendre les uns des autres.

„Tant l’esthétique que les opérations, les déroulements et les processus théâtraux sont désormais pensés différemment au niveau international et comportent des défis spécifiques“.

Paucker a travaillé au Pour-cent culturel Migros pendant ses études et sait donc que la thématique du multilinguisme préoccupe les soutiens du théâtre depuis longtemps. „Cette question ne nous lâche pas, tant au niveau artistique qu’au niveau structurel. Un processus de production est généralement plus passionnant lorsqu’on travaille avec différentes conceptions „. Le théâtre transnational, ou justement „transcantonal“, intéresse cette Zurichoise d’origine à bien des égards. Il permet d’aiguiser son propre regard sur ce que l’on peut „reprendre, adapter et améliorer“ d’autres systèmes théâtraux.

„Cette question nous préoccupe, tant au niveau artistique que structurel. Un processus de production est généralement plus passionnant lorsqu’on travaille avec différentes conceptions“.

D’après elle, cela vaut également pour la Suisse où différents systèmes coexistent, comme les petits théâtres municipaux, les établissements à rayonnement national et la scène indépendante. A cela s’ajoute la Suisse romande, où l’on mise plutôt sur le système de tournées avec des maisons de production et d’accueil. Spécialement dans les domaines du „marché du théâtre“, de la vente et de la publicité, ainsi que de l’encouragement, il y a beaucoup à apprendre les uns des autres. En raison de la diversité linguistique, la Suisse est un modèle pour l’Europe, voire pour le monde – une chance énorme de gérer la diversité culturelle, de la comprendre et de l’exploiter. Paucker ajoute à ce propos : „Par conséquent, on est également performant au niveau international, car ce sont les mêmes questions qui se posent entre les différents pays !“. C’est donc aussi la mission principale des Journées du Théâtre Suisse de rassembler des théâtres de toutes les régions et de les présenter à un public local, de grandir entre les régions du pays et de réunir les créateurs de théâtre. „C’est toujours une expérience de voir à quel point on se connaît peu, alors qu’on travaille dans le même domaine, à un niveau et avec une notoriété comparables. Là on peut faire bouger les choses !“, Paucker en est convaincue.

C’est donc aussi la mission principale des Journées du Théâtre Suisse de rassembler des théâtres de toutes les régions et de les présenter à un public local, de grandir entre les régions du pays et de réunir les créateurs de théâtre.

„Avec le titre du programme-cadre „Mutation et renouveau“, je souhaite donner un signal. Nous prenons conscience qu’il est possible de s’unir, de réfléchir ensemble à la culture et se laisser inspirer“. Un autre exemple de renforcement est la nouvelle idée coopérative de cette année, le „Salon d’artistes“, une tradition venue de Suisse romande, lors de laquelle des pièces sont présentées devant des organisateurs-trices. Cela permet de générer un marché et de susciter l’intérêt avant même que la pièce ne soit produite. En outre, cela donne lieu à des coproductions et des invitations après que les pièces aient été pitchées.

En tant qu’événement le plus orienté vers le marché, la Sélection a le potentiel de faire bouger les artistes. „On produit beaucoup et on montre trop peu, alors que ce serait largement mérité !“.

Paucker décide seule à quel-les artistes elle souhaite donner une plate-forme. Pour cela, elle reçoit au préalable le soutien de « scouts de théâtre » de différentes régions. Cinq positions sont attribuées à la Sélection, la shortlist sert à donner plus de visibilité aux artistes. Il existe un potentiel pour être invité „au-delà de la frontière linguistique“. La Sélection, en tant que manifestation la plus orientée vers le marché, a le potentiel d’amener les artistes à partir en tournée. Paucker estime que „l’on produit beaucoup et que l’on ne montre pas assez, alors que cela serait largement mérité !“. L’aspect principal est de trouver le juste milieu entre un festival, un public local et un public national. „Parmi eux, les perceptions et l’accueil des pièces sont très différents – les cosmos théâtraux et les esthétiques sont parfois interprétés différemment et ne plaisent pas toujours à toutes les régions du pays. Il faut donc trouver des pièces qui incitent à s’intéresser au théâtre des autres cantons. Elles doivent être solides, répondre à une exigence esthétique, et être défendables de tout cœur“ ! C’est aussi pour cette raison que l’on s’est éloigné du curatorium et du jury. Paucker prête son profil à la Sélection, „c’est dans le fouillis que je cherche des pièces qui conviennent“, dit-elle en souriant.

„Parmi eux, les perceptions et l’accueil des pièces sont très différents – les cosmos théâtraux et les esthétiques sont parfois interprétés différemment et ne plaisent pas toujours à toutes les régions du pays. Il faut donc trouver des pièces qui incitent à s’intéresser au théâtre des autres cantons“.

La Sélection en un coup d’œil

Parmi les productions sélectionnées, „Ödipus Tyrann“ …
a convaincu, il s’agit d’un powerplay de deux femmes dans une mise en scène de Nicolas Stemann. „Je n’ai encore jamais vu des femmes jouer de cette manière – la tragédie est représentée avec un grand geste de théâtre urbain, les rôles sont joués à un haut niveau de technique d’interprétation et avec une extrême confiance en soi – ce qui convainc et touche en même temps“. Avec cette ouverture, Paucker souhaite donner un signal pour les performances d’acteurs-trices et les manuscrits de mise en scène extraordinaires.

„EWS“ …

est une production germano-suisse du Theater Neumarkt de Zurich. Comme son titre l’indique – „Le seul thriller politique de Suisse“ a jusqu’à présent toujours été jouée à guichets fermés. „Cette production réunit beaucoup de choses que j’aime personnellement. C’est à la fois une revue et une chorégraphie musicale et d’un style „marthalerien“ – décalé et burlesque avec un fond poético-documentaire. Pour les Journées du Théâtre Suisse, la pièce convient comme un gant – la Suisse traite un cas politique, cela cadre bien à plusieurs niveaux ! En même temps, la pièce EWS est un phénomène typique de notre temps !“ Une grande partie des actrices sont des non-professionnelles. „La pratique des expert-es et des témoins du quotidien est appréciée depuis peu!“. En outre, Lara Stoll se produit en très bonne poétesse slam sur scène et complète le tableau.

„Cette production réunit beaucoup de choses que j’aime personnellement. C’est à la fois une revue et une chorégraphie musicale et d’un style „marthalerien“ – décalé et burlesque avec un fond poético-documentaire. Pour les Journées du Théâtre Suisse, la pièce convient comme un gant – la Suisse traite un cas politique, cela cadre bien à plusieurs niveaux ! En même temps, la pièce EWS est un phénomène typique de notre temps“!

„The game of Nibelungen“

a lieu dans des salles de classe. Paucker dit à ce sujet : „la pièce n’est cependant pas pour les enfants – c’est déjà la blague“. Laura Gambarini donne une leçon d’allemand devant un public majoritairement francophone, „une grande comédie in a nutshell – il n’est pas nécessaire d’en dire plus, il s’agit du Röstigraben et de la mauvaise compétence linguistique des Romands“.

Le relazione pericolose„…

est la version italienne du roman épistolaire français „Les liaisons dangereuses“. La direction artistique est assurée par le directeur du théâtre, Carmelo Rifici. Paucker explique : „Il a travaillé sur différents textes afin d’aborder le questionnement philosophique du pouvoir, de l’amour, de la lutte et de la guerre à travers les personnages principaux – la matière idéale pour faire la guerre dans l’érotisme“ ! Il s’agit d’une histoire scénique exceptionnellement belle et installative. Avec des moyens théâtraux simples, de grands tableaux sont créés. „Je voulais absolument apporter une grande production scénique de la langue italienne aux Journées du Théâtre Suisse, alors que le Tessin élabore surtout de petites productions ou qui prennent des formes plus ludiques comme celles des diplômé-es de la Scuola Dimitri. L’italien est tout de même une langue scénique extraordinaire“ !

„Biais aller retour“

„Le biais“ est une position familiale qui s’adresse aux jeunes mais qui divertit également les adultes. Le Théâtre Am Stram Gram est célèbre pour ses productions familiales qui s’adressent surtout aux enfants. La grande troupe raconte sa propre histoire sur la problématique du vieillissement de la grand-mère. Mais la particularité de cette production est son horizon politique. „La pièce présente à la fois un niveau humoristique et un niveau technique spectaculaire. Elle traite des thèmes de la mort, de la pauvreté et de ce que l’imagination peut faire bouger“.

La pièce „Rendez-vous“

a été créée par Eugénie Rebetez qui, peu connue en Suisse alémanique, est une célébrité en Suisse romande. Elle travaille en premier lieu avec des artistes qui ne sont pas issu-es de son métier. C’est précisément ce genre de rencontres qu’elle recherche sur scène. Cela se passe physiquement autant que musicalement, par le mouvement, et chaque rencontre est différente. „C’est lié aux réalités que ces personnes apportent. Le résultat est extrêmement délicat et touchant et porte le charme de sa personne, mais aussi une certaine modestie, car Rebetez cherche vraiment à découvrir ce qui est caché, ce qui se trouve entre elle et les artistes. Cela paraît représentatif du désir de découvrir d’autres réalités“, raconte Paucker.

„J’espère vraiment que les invitations suivront, car c’est très urgent. Il s’agit d’une coproduction, la pièce la moins suisse et la plus suisse à la fois – la thématique est suisse, l’ensemble est international“.

„The Ghosts Are Returning“

est joué par un ensemble germano-suisse-congolais et les personnes sont engagées spécialement pour cela. Jusqu’à présent, la pièce n’a été jouée qu’à la caserne de Bâle, avec un grand succès mais devant peu de public. J’espère vivement que d’autres invitations suivront, car c’est très urgent. Il s’agit d’une coproduction, la pièce la moins suisse et la plus suisse à la fois – la thématique est suisse, l’ensemble est international“. Paucker est particulièrement enchantée par le multilinguisme, les langues du Congo, la musique, les chants parlés – un grand concert au contenu documentaire. Il s’agit du comportement de la Suisse à l’époque coloniale. Paucker explique : „L’accent est mis sur les rituels de deuil traditionnels qui ont été célébrés suite à la profanation de tombes. La pièce aborde la gravité du sujet et le débat sur la restitution mais aussi les conséquences à long terme du colonialisme et de l’exploitation. De plus, un membre de la troupe est décédé pendant la période de production et un deuil personnel joue ainsi un rôle dans la soirée, ce que l’on ressent et qui est d’ailleurs explicitement mentionné. Et pourtant, on assiste à une belle soirée de théâtre, pleine de plaisir et de musique, avec un appel moral mais pas moralisateur, qui ne se prend pas trop au sérieux et qui semble très léger et conciliant“.

„C’est aussi la raison pour les parenthèses „mutation“ – les choses ne sont plus certaines – et „renouveau“, avec une connotation positive et le but de provoquer un changement de l’un à l’autre“.

Pour Julie Paucker, la directrice artistique des Rencontres du Théâtre Suisse, l’époque mouvementée dans laquelle nous vivons est emblématique du fait que les habitudes et les certitudes, même en Suisse, peuvent changer et même s’effondrer. Elle dit : „Nous avons ici une situation très privilégiée, la question se pose souvent de savoir comment les choses vont évoluer, comment le système change et comment profiter des changements positifs. C’est aussi la raison pour les parenthèses „mutation“ – les choses ne sont plus certaines – et „renouveau“, avec une connotation positive et le but de provoquer un changement de l’un à l’autre. Cela a un rapport important avec les pièces, qui ne sont volontairement pas choisies en fonction d’un thème mais qui correspondent à notre réalité à nous tous, c. à d. que certaines choses s’effondrent ! La coopération avec „Tasty Future“ complète le programme avec l’ambition de pouvoir provoquer des changements de manière positive, notamment un bouleversement dans les médias, de fixer des salaires de référence sur le marché et de réduire la précarité générale des artistes.

0 Kommentare

Hinterlasse einen Kommentar

An der Diskussion beteiligen?
Hinterlasse uns deinen Kommentar!

Schreibe einen Kommentar

Deine E-Mail-Adresse wird nicht veröffentlicht. Erforderliche Felder sind mit * markiert